Publication trimestrielle du Laboratoire
d'analyse et d'architecture des systèmes du CNRS
Le Brésilien José Claudio Geromel est arrivé en France en 1976 pour y préparer au LAAS son doctorat d’Etat en automatique. Depuis cette période dont il conserve des souvenirs personnels et professionnels forts, il a toujours entretenu une relation scientifique suivie avec la communauté de l’automatique au LAAS. Aujourd’hui professeur à l’université de Campinas au Brésil, automaticien reconnu internationalement, il porte son regard sur les apports du LAAS, hier et aujourd’hui, dans cette discipline dont l’étude a été la première vocation du laboratoire.
José Claudio Geromel, comment s’est faite votre rencontre avec le LAAS ?
En 1976, j’avais 24 ans et terminais mon cycle d’ingénieur et mon mestrado brésilien en vue de la préparation au doctorat. Je me suis naturellement tourné vers l’Europe, par intérêt pour sa culture et son histoire. Concernant plus précisément le LAAS, j’avais recueilli de nombreuses informations durant ma formation. En particulier, mon directeur de thèse de mestrado, M. Yaro Burian Junior, était un ancien du LAAS et l’un des premiers brésiliens à
obtenir le doctorat d’État en automatique. Certains de nos enseignants venaient du LAAS, tels H. Tavares, L. Gimeno et G. Authié. Un concours du Consulat de France à Sao Paulo m’a permis d’obtenir une bourse. Fin 1976, après avoir effectué un stage linguistique obligatoire de deux mois à Vichy, mon épouse et moi sommes arrivés à Toulouse. Le LAAS était dirigé par MM Martinot et Grateloup. Mon doctorat, sous la direction de Jacques Bernussou, se situait dans la thématique « Commande décentralisée, stabilité, optimisation ». Nous étions dans la division « Mécanique non-linéaire », en compagnie de C. Burgat et G. Bitsoris, ce dernier préparant lui aussi son doctorat d’État. Ce qui m’a le plus frappé alors au LAAS, c’est la bibliothèque et la facilité de consulter l’information scientifique. Le laboratoire disposait également de moyens informatiques remarquables, en cette époque où le stockage des données s’effectuait sur supports perforés. Je me souviens du collègue, B. Meunier, en charge du traceur Benson souvent récalcitrant, des collègues du service documentation-édition, E. Lapeyre, J. Catala, qui écrivaient à la main les lettre grecques de nos publications, de Mesdames Lomi et Som qui assuraient le secrétariat.
La vie professionnelle à Toulouse était très heureuse. Sur un plan plus personnel, nous habitions au centre ville, 3 rue du Sénéchal. Notre petit appartement était certes un peu abimé, mais à un loyer très bas. J’essayais de comprendre Georges Brassens, ce qui s’avérait très difficile. Nous écoutions aussi Ferrat, Ferré, Brel. Le soir, à la télévision N&B, je me souviens de deux émissions : « Les Dossiers de l’écran » et « Apostrophes ». C’était magnifique !
Quelles ont été vos collaborations avec le LAAS depuis lors ? Avez-vous le souvenir de faits marquants ?
Un premier fait marquant a été la participation de P. Bernhard et P. Varaya à mon jury de thèse. Ensuite, Jacques Bernussou et moi avons collaboré de manière assez automatique car régulière. Nous avons travaillé ensemble et séparément sur les problématiques de la commande décentralisée, de l’analyse et la synthèse robustes, ainsi que du filtrage robuste. Notre article commun « On a Convex Parameter Space Method for Linear Control Design of Uncertain Systems » (SIAM Journal on Control and Optimization, 1991) revêt pour moi une importance particulière. En effet, il proposait une méthode originale d’analyse et de commande des systèmes polytopiques à une époque où le lien entre l’optimisation convexe et l’automatique était moins bien identifié que de nos jours. Une deuxième communication intitulée « A New Discrete- Time Robust Stability Condition » (Systems & Control Letters, 1999) me paraît significative, car elle a aussi fait l’objet de plus de 100 citations. Enfin, plus récemment, un très fort moment a été de revoir D.D. Siljak alors qu’il était invité au LAAS. En effet, j’ai beaucoup étudié les résultats de base établis par ce chercheur remarquable dans le domaine de la commande décentralisée et de la stabilité des systèmes de grande dimension.
Quels ont été, selon vous, les apports du LAAS en automatique ? Sur quels thèmes a-t-il été précurseur ?
Pour une réponse précise, il faudrait comparer les citations des chercheurs du LAAS avec celles de chercheurs d’autres laboratoires. La comparaison serait certainement très favorable. Je peux néanmoins citer de nombreux sujets de recherche où le LAAS a beaucoup apporté : méthodes de décomposition en programmation mathématique (A. Titli) ; stabilité des systèmes interconnectés de grande dimension (fonctions vectorielles de Lyapunov, etc.) ; commande décentralisée ; commande des systèmes dynamiques avec contraintes (C. Burgat, G. Bitsoris et coll.) ;
commande et filtrage robustes ; optimisation semi-définie et polynomiale (J.B. Lasserre et coll.). Le LAAS a aussi fortement contribué à l’étude des systèmes non linéaires à temps discret. Ainsi, la thèse d’État de J. Bernussou proposait des résultats extrêmement importants sur les orbitales des systèmes non linéaires, dont certains ont été publiés dans l’ouvrage « Point Mapping Stability »
© Jean Dieuzaide
. La tapisserie située à côté de la direction du LAAS rappelle d’ailleurs cet épisode de l’histoire automaticienne du laboratoire. De nos jours, j’ai le sentiment que les résultats théoriques développés par J.B. Lasserre placent le LAAS à la pointe des recherches en optimisation polynomiale.
Comment situeriez-vous le LAAS dans la communauté aujourd’hui ?
L’évolution thématique me paraît très adéquate et correcte, car elle a permis surtout pour les plus jeunes chercheurs de travailler et de contribuer dans les sujets scientifiques les plus importants de l’actualité en automatique. Des applications théoriques et pratiques sont envisagées, comme le confirme l’interview d’un collègue de votre laboratoire dans un numéro récent de la Lettre du LAAS1. Finalement, aujourd’hui le LAAS occupe dans la communauté une place semblable à celle de ses débuts. Il est un lieu où est menée de la recherche de qualité, qui contribue au développement de la science. Des études pointues et importantes sont menées dans le scénario de la recherche.
Le LAAS célèbre ses 40 ans. Que cela vous inspire-t-il ?
Je dirais qu’en ce 40e anniversaire du LAAS, les idées et les plus profonds désirs de son fondateur Jean Lagasse ont été accomplis. Sur un plan plus personnel, je garde bien sûr la France, Toulouse et le LAAS dans mon coeur, d’autant que mon fils est né fin 1977 dans votre belle ville.
1 Il s’agit de Denis Arzelier, dans la Lettre du LAAS n° 36,
janvier 2008, page 14.
José Claudio Geromel est professeur à l’université de Campinas au Brésil et chercheur au CNPq (équivalent brésilien du CNRS). Son activité de recherche en automatique concerne la commande et le filtrage robuste, la programmation mathématique et les systèmes avec commutation. Il est membre de l’académie brésilienne des sciences et chevalier dans l’Ordre des palmes académiques français.
Avec 59 thèses soutenues par ses ressortissants entre 1968 et 2008, le Brésil est, de loin, le premier pourvoyeur au LAAS de doctorants étrangers.