Publication trimestrielle du Laboratoire
d'analyse et d'architecture des systèmes du CNRS
© Anne Mauffret/LAAS-CNRS
La construction d’un bâtiment met habituellement en présence trois protagonistes, le maître d’œuvre, le maître d’ouvrage et l’utilisateur qui vont se mettre d’accord sur un projet et suivre sa réalisation. Rien que de très normal. Rien cependant en l’occurrence ne pouvait l’être pour la construction du bâtiment Adream tant ses spécificités de construction, d’instrumentation et d’occupation par des équipes –et des équipements- de recherche étaient inédites, amenant chacun aux confins de ses savoirs et compétences, l’obligeant à les confronter à ceux des autres, à les mettre parfois à distance au profit d’audacieux paris, quitte à frôler l’inconnu. Pour ce faire, entre contraintes techniques et exigences scientifiques, la complémentarité professionnelle a dû s’accompagner de compréhension intellectuelle et de confiance mutuelle. Parmi les personnes impliquées dans le chantier, trois on dû particulièrement suivre son évolution, discuter, évaluer, négocier tout au long de son déroulement, l’architecte Alain Bayle, du cabinet Archea Architectes, Emmanuel Vialan, responsable des affaires immobilières de la délégation du CNRS en Midi-Pyrénées, et Bruno Estibals, chercheur au LAAS et initiateur du volet Energie du projet Adream. Chacun affirmait à la fin du chantier avoir enrichi son expérience professionnelle tout comme avoir partagé une expérience humaine, à l’image du bâtiment, originale. C’est en leur compagnie que nous visitons le bâtiment.
Emmanuel Vialan : Nous sommes dans la grande salle dédiée principalement à la robotique. C’est la première contrainte que nous avons eue. Il fallait un grand volume en hauteur, et que toutes les connexions soient accessibles par le haut, par le bas et par les côtés.
Alain Bayle : Tout, en outre, devait être modulaire, en sorte que les chercheurs puissent intervenir eux-mêmes et modifier selon leurs projets la configuration de la pièce, les implantations, la luminosité ; « scénariser », le mot a été employé, en fonction de leurs expérimentations et des robots utilisés. Dans les métiers du bâtiment, en principe, on construit et on fige, tandis que là a dû commencer un travail en commun. Il a fallu chercher des réponses possibles pour offrir le maximum de modularité, dire « voilà ce que nous savons faire à ce jour », chercher d’autres solutions quand on nous disait « ça ne va pas », trouver au moins des débuts de réponse à des demandes inhabituelles. Par exemple, tous ces chemins de câbles accrochés en haut du mur sont là pour recevoir des câblages à la demande pour alimenter de nouveaux endroits. De même que ce grill au plafond qui permettra notamment de positionner des caméras.
© Anne Mauffret/LAAS-CNRS
EV : Il fallait de plus cacher ces câbles modulaires, c’est ce qui est fait en haut avec le grill et au sol par ces 21 boîtes réparties sur le sol. La technique des caniveaux n’était pas envisageable à cause des robots amenés à se déplacer, il a fallu de même cacher tous les éléments techniques.
AB : C’est ce qui nous a conduits à construire un vide sanitaire en dessous. Ce vide, qui contient aussi tout un réseau de chemins de câbles, est accessible par les utilisateurs et réorganisable à l’envi. Il n’était pas dans le projet initial, c’est une réponse que nous avons apportée à la demande de modularité. Autre demande des roboticiens, cette pièce devait être fonctionnelle et adaptée à la présence de robots, mais aussi permettre que des visiteurs voient ce qui s’y passe sans gêner ceux qui y évoluent. D’où cette passerelle qui en fait le tour et la surplombe, également dotée d’équipements techniques. Autour de cette pièce, qui est grande, 225 m2, il y a de nombreux enjeux dont certains ont été clairement exprimés et intégrés au programme, d’autres moins définis car liés par essence à l’évolution des travaux et expérimentations.
EV : Certaines solutions ne sont pas apparues d’emblée et nous nous sommes parfois inspirés d’autres réalisations. Au théâtre du Capitole de Toulouse par exemple, nous avons trouvé des informations intéressantes et c’est là que nous est venue l’idée du grill.
© Nicolas Schmitt pour CNRS et Garrigues SA
AB : Tout le projet est bâti autour de cette pièce.
EV : Mais cela était en inadéquation totale avec le volet photovoltaïque. Une façade vitrée pose des problèmes d’ombrage, de chaleur, donc de traitement thermique incompatible avec l’exigence d’une salle d’expérimentation qui soit confortable.
AB : Ces deux questions presque antinomiques étaient juxtaposées et nous n’avions pas de réponse architecturale classique. Il y avait une contradiction entre ces deux demandes et tout le travail en commun a consisté à les rendre compatibles et leur apporter une réponse unique. Cela a pris beaucoup plus de temps que de décider de l’emplacement d’une salle de réunion ou de trois bureaux à droite, à gauche. La façade photovoltaïque devait être intégrée au bâtiment. Par principe, elle devait être orientée plein sud, par principe aussi, selon nos lois architecturales classiques, on n’oriente pas une construction plein sud dans nos régions. Là donc, nous devions mettre LA pièce importante du bâtiment plein sud et garder à l’esprit que nous voulions un bâtiment à énergie positive.
EV : Nous parlions plutôt au départ d’énergie « optimisée » mais on peut dire qu’on arrive à un bâtiment à énergie positive.
Bruno Estibals : Nous n’avons pas encore vérifié ! J’ai pris part au projet dès lors qu’il a été décidé d’une installation photovoltaïque, intégrée au bâtiment. Un cahier des charges, scientifique et technique, a été conçu pour la partie solaire et refroidissement. C’est la direction du LAAS qui a fait le choix d’ajouter un volet photovoltaïque, à la fois pour l’optimisation énergétique et pour la recherche. Adream est un programme de recherche, le bâtiment est un support d’expérience. La partie énergie, qui est un axe de recherche du laboratoire, serait de ce fait illustrée par les installations du bâtiment.
© Nicolas Schmitt pour CNRS et Garrigues SA
EV : Il y a eu plusieurs phases. La première ne prévoyait qu’une salle d’expérimentation. L’ajout de la partie énergie a été demandé par le LAAS au CNRS, avec trois contraintes : panneaux photovoltaïques intégrés au bâtiment, 100 KW et énergie optimisée, pompe à chaleur et puits canadien. Le CNRS a fait un choix courageux en l’acceptant car il remettait en cause le financement et le calendrier.
AB : La partie photovoltaïque a été la plus difficile. Notre réponse était expérimentale car l’intégration totale au bâtiment, avec des pièces d’activité derrière de surcroît, est très rare. Il me semble, au moins en France, que c’est unique.
BE : Nous voulions donc une façade productrice d’énergie et transparente pour que la lumière parvienne à la grande salle. Il y a toujours un compromis à faire entre le rendement des cellules photovoltaïques et la vie à l’intérieur de la façade. Plus il fait chaud, plus le rendement est dégradé. Il faut donc refroidir la cellule en l’emprisonnant entre deux couches de verre. Si l’on fait cela, on a en revanche un fort rayonnement lumineux et donc une atmosphère qui peut devenir très chaude. Nous avons fait un pari en divisant la façade en deux. Une moitié privilégie le rendement de la cellule entre deux feuilles de verre, l’autre, pourvue en plus d’un vitrage isolant, privilégie au contraire le confort à l’intérieur du bâtiment au détriment du rendement. Nous avons ensuite décidé de monitorer le rendement de chacune des surfaces pour évaluer le bilan d’énergie de chacune des solutions.
EV : Nous avons longtemps cherché à connaître auprès des fournisseurs les différences de rendement entre les solutions bi-verre et tri-verre, en vain. Nous avons vu de belles réalisations mais aucune donnée technique sur la production in situ.
© Anne Mauffret/LAAS-CNRS
© Christelle Ecrepont/LAAS-CNRS
BE : Nous avons aussi une installation photovoltaïque sur toit-terrasse. C’est une terrasse technique sur laquelle ont été posés une isolation thermique, une protection contre les infiltrations, les câbles d’acheminement de l’énergie produite par les panneaux, des câbles réseau pour le déploiement de capteurs ; c’est un outil d’étude pour les chercheurs. L’idée est d’avoir une plateforme de tests de production qui comprend les panneaux solaires et les systèmes onduleurs pour la conversion de l’énergie. Contrairement à la façade, on peut ici modifier l’inclinaison des panneaux, les remplacer, en choisir de différentes technologies et les qualifier en conditions réelles de fonctionnement. La station météo précise encore ces conditions par des indications d’orientation du vent, de température extérieure, de spectre solaire et de pluviométrie. Si l’on ajoute les panneaux fixes du haut, qui eux sont inclinés à 10°, nous avons donc en termes d’outils de recherche trois types d’installation. A court terme, nous pourrons vérifier que nous sommes bien à énergie positive sur les quatre saisons ; à plus long terme, le retour d’expérimentation nous renseignera sur le bien fondé des méthodes choisies, à la fois pour la production électrique et pour la gestion de cette énergie au sein du bâtiment. Nous allons créer des bases de données associant production, gestion et vie dans le bâtiment qui seront à la disposition des chercheurs pour ouvrir la voie à des systèmes novateurs de conception de systèmes de gestion de l’énergie.
EV : Les onduleurs sont installés dans cette petite pièce. Une armoire de brassage renvoie l’électricité soit sur les bancs d’expérimentation, soit vers les onduleurs qui réinjectent le courant alternatif sur le bâtiment.
BE : Dans cette salle de recherche photovoltaïque, nous allons utiliser l’énergie produite. Sur chacun de ces bancs sont raccordés des panneaux de la façade et du toit pour tester les équipements électriques, onduleurs et convertisseurs. Une plateforme de recherche aussi aboutie, de cet ordre et de cette ampleur, est unique en Europe.
AB : Nous avons été dans l’inconnu du début à la fin. Certes, nous savions lors de la réponse au concours que cela ne serait pas facile mais la suite s’est révélée être proche d’un travail de recherche. Ce projet n’a abouti que grâce à une parfaite collaboration entre nous. C’était aussi un rapprochement de deux mondes qui ne se connaissent pas et ont des habitudes et des repères presque opposés.
EV : Tout le bâtiment est reconfigurable. La structure de la façade permet de passer complètement au bi-verre ou tri-verre. Pour préserver le confort thermique de la salle d’expérimentation, nous avons pensé faire une double paroi. Cette galerie a aussi l’avantage de traiter l’occultation. Autre point, pour que le rendement des panneaux soit optimal, il faut maintenir une température de 25° à l’arrière de la cellule. Nous avons fait un circuit, qui peut être ouvert selon les saisons, à l’arrière des panneaux où circule de l’air depuis le sol jusqu’en haut.
AB : En France, nous sommes soumis à une normalisation très forte et nous ne pouvons prendre aucun pari sur la solidité d’un ouvrage. En revanche, le mur de façade ne correspond à aucune norme actuelle.
EV : Nous avons mesuré et pris des risques sur la partie traitement d’air. Nous risquions de voir la température de la salle monter à 30° l’été, nous avons résolu le problème par la redondance et plusieurs équipements permettent de pallier les problèmes : 4 free-cooling adiabatiques utilisant l’air extérieur pour le refroidissement, 3 pompes à chaleur couplées à 18 sondes géothermiques de 100 mètres de profondeur et un échangeur sur puits canadien, chacun contribuant selon les conditions et besoins. Le traitement d’air de la galerie pour maintenir les cellules à 25° est récupéré en haut et sert à la climatisation du bâtiment. Son comportement est différent selon les saisons. Nous n’aurons de retour d’expérience réel qu’après un cycle complet.
© Anne Mauffret/LAAS-CNRS
AB : Ce que vient de dire Emmanuel, le « on verra » faisant partie du concept est assez rare sur du bâtiment neuf ! En fait, nous n’avons pas construit un bâtiment, nous avons construit un outil de recherche. Une crèche, une école, une mairie sont figées ; nous avons construit là, au milieu des contraintes normatives, un outil de recherche évolutif.
REPÈRES
Dates clés :
Début du chantier : juin 2010
Livraison du bâtiment : décembre 2011
Occupation par les chercheurs, ingénieurs et techniciens : mars 2012Superficie : 1 700 m²
Salle expérimentale modulaire évolutive : 225 m²
Plateau technique : 500 m²
Bureaux : 700 m²
Panneaux photovoltaïques : 720 m²Financement
Contrat de projets Etat-Région 2007-2010
Union européenne (45%) : 43 200 000 euros
Région Midi-Pyrénées (35 %) : 2 500 000 euros
Communauté urbaine du Grand Toulouse (14%) : 1 000 000 euros
CNRS (7%) : 500 000 eurosÉquipements
Plateforme de conception micro et nano systèmes MEMS (mesh et ad-hoc)·Conception assistée par ordinateur (CAO) et caractérisation de microsystèmes·Logiciels microsystèmes
Plateforme systèmes embarqués - Bâtiment Adream ·Robots (3-5) ·Stations et terminaux·Capteurs de vision (caméras) ·Capteurs à traitement intégrés dans le bâtiment ·Logiciels de conception·Infrastructure d’accueil pour robots compagnons (décor, appartement modulable)
Plateforme Réseaux ·Routeurs, commutateurs·Sondes ·Serveurs stockage mesures·Ferme stations d’expérimentation
Plateforme photovoltaïque - Bâtiment Adream (unique en Europe) ·Onduleurs·Bancs d’expérimentations raccordés aux panneaux de la façade et des toits ·Capteurs avec possibilités d’adressage physique (lieux, objets) et de mobilité avancée : traitement thermique, éclairage, production d’électricité photovoltaïque, consommation d’électricité par système,environnement (météo, températures…)·Production d’énergie·Stockage d’énergie·Gestion optimisée intégrée
Bâtiment intelligent ·Câblage accessible et modulaire (à la demande)·Support de modifications des décors d’expérimentations : grill mobile pour fixation caméras, luminaires…·Infrastructure réseaux et métrologie (filaire et sans fil)·Centrale de supervision de l’état des plateformes·Grand écrans pour le suivi des expérimentationsInstallations liées à l’énergie
Toiture et façade photovoltaïques : 100 kWc
Panneaux photovoltaïques intégrés au bâtiment (unique en France)·Toit terrasse équipé de panneaux solaires inclinables·Toit terrasse équipé de panneaux solaires fixes inclinés de 10° et d’une station météo·Mur façade orienté sud divisé en bi-verre et tri-verre
Galerie tampon avec circuit d’air maintenant la température des cellules PV à 25°C avec 1 free-cooling adiabatique
3 pompes à chaleur géothermique, 18 sondes géothermiques de 100 m de profondeur
Échangeur sur puits canadiens