Lettre du LAAS

Publication trimestrielle du Laboratoire
d'analyse et d'architecture des systèmes du CNRS

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© CNM

Le physicien Catalan Francisco Serra Mestres est arrivé tout jeune à Toulouse en 1964 pour y préparer un DEA, puis une thèse au Laboratoire de génie électrique, LGE, dont est issue l’équipe fondatrice du LAAS. Là, il découvre la microélectronique naissante et son formidable potentiel scientifique et technologique. De retour à Barcelone, il n’aura de cesse d’organiser ce potentiel, construisant une première salle blanche à l’université de Barcelone puis le premier centre de recherche en microélectronique d’Espagne. Il a toujours maintenu des relations scientifiques et amicales avec le LAAS et milite pour un rapprochement des compétences en micro et maintenant nanotechnologies à l’échelle de l’Europe.

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L'aventure commence pour moi en 1964 quand, avec deux collègues catalans, Joan Buxó et Albert Viñas, nous sommes arrivés à Toulouse grâce à une bourse du Gouvernement français que nous avait accordée M. Colin, attaché scientifique à Barcelone, décédé tragiquement quelques années plus tard lors d’un accident d'alpinisme au Pedraforca, montagne mythique de la Catalogne. Nous étions trois jeunes physiciens avides de découvrir les progrès les plus récents des nouveaux composants électroniques à semi-conducteurs. Nous avons très chaleureusement été accueillis, rue Camichel, au Laboratoire de génie électrique, LGE, dirigé par le professeur Jean Lagasse. Piloté par Georges Giralt, j’ai commencé mes études de DEA puis ma thèse de 3e cycle sous la direction scientifique d‘Etienne Cassignol. Mais, très rapidement, c’est Daniel Estève qui a guidé mes activités au sein du groupe Composants.

"Nous avions alors le sentiment de participer à un vaste mouvement  scientifique et technologique : la microélectronique"

Ce furent trois années très intenses de ma vie, entre des cours à l’ENSEEIHT1 et mes travaux de recherche au LGE. Malgré plus de quarante années passées maintenant, j'ai des souvenirs très vifs de ces trois années vécues à Toulouse. J'ai appris beaucoup de la vie : les difficultés de gérer l’éloignement de ma fiancée, de ma famille, mais aussi le plaisir de la solidarité au travail et de l’amitié qui a perduré jusqu'à aujourd'hui. Nous avions alors le sentiment de participer à un vaste mouvement scientifique et technologique : la microélectronique, qui aujourd’hui encore reste un support incontournable du développement économique. Personnellement, j’ai eu la chance d’y contribuer sur le problème essentiel à l’époque de la fiabilité des composants, plus particulièrement de la dérive des transistors liée au mouvement des charges électriques dans l'oxyde de silice, des dérives du gain des transistors bipolaires, des défaillances des premiers transistors MOS et autres. Stratégiquement, j'ai surtout appris la nécessité d'avoir les microtechnologies à portée de main pour réaliser une recherche en microélectronique de qualité : c’est ce qui a guidé mon action personnelle à mon retour à Barcelone.
De retour à Barcelone en novembre 1967, j'ai maintenu des relations personnelles avec les anciens compagnons qui à partir de 1968 ont rejoint le LAAS. Malgré les sollicitations multiples des tâches d'enseignement et de relations industrielles qui m’ont submergé dans les années 70, mon désir est toujours resté intact de construire un potentiel de recherches important en microélectronique, malgré les limitations que mon pays connaissait.

La graine plantée dans les années 60 porte ses fruits
Les choses ont changé au début des années 80. J'ai en effet pu réaliser le rêve de construire une salle blanche à l'Université autonome de Barcelone, grâce à l'appui de José Antonio Cordero, de la CAICYT et à l'infatigable travail de Zenón Navarro, qui nous a quittés récemment. C’est le savoir faire technologique de Guy Pierrel et de l’équipe technique du LAAS qui nous a permis de réaliser notre premier transistor MOST. Peu d'années plus tard, par la réunion de notre équipe avec celle d'Emilio Lora-Tamayo, lui aussi ancien boursier du LAAS, qui dirigeait alors l'Institut L. Torres Quevedo du CSIC à Madrid, nous avons conçu et construit le Centre national de microélectronique, CNM, de Bellaterra (Barcelone), le premier centre de recherche en microélectronique d'Espagne. Tout au long de ces années et jusqu'à aujourd’hui, nous avons ainsi pu développer une collaboration fructueuse aussi institutionnelle que personnelle entre le LAAS et le CNM. Des travaux communs importants ont été conduits dans les domaines des systèmes et dispositifs de puissance, des capteurs, des micro-nano technologies et autres... La « graine » plantée dans les années 60 a porté et continue de porter ses fruits. Considérant notre avenir commun, au regard de l’Europe, il faut que des centres de recherche comme le LAAS, le CNM et d’autres, qui ont des installations performantes pour supporter les technologies nano et microélectroniques, rapprochent encore leurs compétences et trouvent la place qu’ils méritent dans un monde technologique, à chaque étape encore plus globalisé.
Mes chaleureuses félicitations à tout le personnel du LAAS pour ces 40 années de succès. Bravo à tous !

Francisco Serra Mestres
Directeur du Centre national de microélectronique de Barcelone