Publication trimestrielle du Laboratoire
d'analyse et d'architecture des systèmes du CNRS
© CNRS Photothèque / Emmanuel PERRIN
Pour les chercheurs de ma génération, les réunions des GDR « Perret », puis « Leturcq » constituaient dans les années 90 des moments importants de notre vie scientifique.
En plus de la découverte des manades environnant Montpellier et des plats « typiques » (le taureau à la broche qui enfumait toute la matinée l’ensemble des participants que seul Pierre Merle savait nous préparer) c’était surtout une occasion unique pour découvrir ce qui se passait dans les autres laboratoires et pour rencontrer nos collègues. C’est dans ces conditions, et plus précisément dans le bus qui emmenait les toulousains à l’une de ces réunions que j’ai rencontré Jean-Louis pour la première fois. Les travaux du LGET étaient à cette époque assez marginaux dans le domaine de l’électronique de puissance et pourtant nos échanges furent prolixes (et n’ont jamais cessé depuis) : les couches de matériaux isolants déposés par plasma, les condensateurs céramiques non linéaires, et les varistances à base d’oxyde de zinc sur lesquels nous travaillions…Tout l’intéressait. Lui, le chantre et le promoteur en France de l’intégration hétérogène, c’est à dire de l’intégration du plus grand nombre de fonctions sur le semi-conducteur, et préférentiellement le silicium (Ah, Jean-Louis et le silicium !) était toujours curieux de ce qui pouvait se passer dans les autres laboratoires du domaine.
Foisonnement d’idées
Quelques années plus tard, notre génération eut la lourde charge de reprendre le flambeau et c’est tout naturellement Jean-Louis qui fut notre chef d’orchestre. Je me souviens avec énormément de plaisir de la préparation du texte que nous allions soumettre au Comité national et du foisonnement d’idées que nous jetions sur le papier. Les réunions du bureau de ce GDR furent sans nul doute, les meilleures que j’ai jamais eues. Tout semblait possible, nous avions le vent en poupe, la structure nous suivait, nous étions le GDR le plus riche du CNRS (grâce au GIRCEP qui nous soutenait et dans lequel Jean-Louis jouait un rôle majeur). Ceci conduisit à un très grand nombre de projets collaboratifs qui ont forgé une véritable culture de l'échange et du partage dans les laboratoires impliqués. En parallèle, à la fin des années 1990, nous eûmes une opportunité que nous ne laissâmes pas passer : la création d’un labo commun avec Alstom autour de l’intégration de puissance. C’est alors souvent ensemble que durant presque dix ans nous avons pris la direction de Tarbes pour aller y rencontrer nos étudiants en thèse et nos collègues industriels. Dans cet environnement aussi, Jean-Louis était à son aise. Défenseur (parfois très « viril ») de ses idées contre vents et marées, tentant de démontrer tous les bénéfices de sa chère (souvent jugée « trop chère » pour un industriel) intégration fonctionnelle, il savait nous communiquer sa foi en la matière.
"Sans lui, tout ce que la communauté électronique de puissance académique française est en train de démontrer n’aurait certainement jamais pu voir le jour."
C’est surement de tous ces échanges, et de toutes ces initiatives qu’est finalement né le projet 3DPHI dont nous disions souvent entre nous qu’il « donnait des murs » à notre GDR. Dire que tout cela c’est fait dans la douceur et que nous n’avons jamais eu à nous opposer serait mentir. Mais sans lui, tout ce que la communauté électronique de puissance académique française est en train de démontrer n’aurait certainement jamais pu voir le jour.
Ce que je sais aujourd’hui, c’est que l’intégration en électronique de puissance, qu’elle soit hétérogène ou hybride, a perdu un de ses grands chercheurs et qu’il manque à tous ceux qui ont eu la chance de l’approcher. Et que moi, comme bien d’autres, j’ai perdu un Ami.
Thierry Lebey
Directeur de recherche au CNRS
Laboratoire plasma et conversion d’énergie, LAPLACE, Toulouse