Publication trimestrielle du Laboratoire
d'analyse et d'architecture des systèmes du CNRS
Fabrice Villaumé, ingénieur de l’ENAC, a soutenu sa thèse de docteur ingénieur en 2002 : « Contribution à la commande des systèmes complexes : application à l'automatisation du pilotage au sol des avions de transport ». La même année, aussitôt après sa thèse cofinancée par Airbus dans le cadre d’une convention CIFRE, il a été recruté chez l’avionneur, apportant avec lui des résultats de ses travaux qui ont donné lieu à une réussite technologique dont bénéficieront dès 2009 les avions A350 et A380 d’Airbus.
Mon premier contact avec le LAAS s’est fait à l’ENAC où l’un de mes professeurs, Felix Mora Camino, était également chercheur au LAAS. La filière « Techniques aéronautiques » que j’avais choisie m’a conduit à l’automatique. C'est à l'ENAC que j'ai découvert le domaine des lois de pilotage, les commandes de vol et aussi, à l'occasion de mon DEA que j'ai préparé simultanément, la recherche. J’étais dans le groupe « Automatique symbolique » et je passais une journée par semaine au laboratoire. C’est à Airbus, sur proposition du responsable de son service Lois de pilotage, que j’ai fait mon stage de fin d’étude, théorique et pratique, validant à la fois le DEA et l’école d’ingénieur. C’était un domaine pointu et mes travaux, qui semblaient avoir un potentiel applicatif, ont conduit à monter un sujet de thèse CIFRE autour de l’automatique non linéaire, particulièrement un schéma de contrôle pour l’avion au sol. Nous avons démarré en septembre 1998.
Après ma thèse, en 2002, j’ai proposé ce schéma avec de nouvelles fonctions qui semblaient prometteuses. Dans cet ensemble de fonctions, l’une a suscité l’intérêt car elle était susceptible de désengorger les aéroports en réduisant le temps de rotation des avions sur les pistes lors de l’atterrissage : le Brake-to-Vacate system. C’est un dispositif d’aide au pilote qui régule le freinage de l’avion en fonction de la bretelle de sortie de piste qu’il empruntera. Le système, qui calcule ce temps d’occupation selon les possibles bretelles de sortie, permet au pilote de choisir la plus appropriée dès la phase d’approche. Il permet de moduler la décélération de l'avion et de diminuer l'énergie utilisée pour le freinage, tout en respectant le confort des passagers.
J’avais rencontré Pascal Traverse lors de mon stage de fin d’étude et c'est avec son soutien actif que le projet a pu s'épanouir. En accord avec les dirigeants d’Airbus ont alors commencé les travaux préparatoires au lancement d’une démonstration concrète. Mon travail de thèse était un travail personnel. Nous sommes entrés là dans une phase de travail en équipe intégrée. L’exercice change complètement. Dans la thèse, c’est théorique ; dans la phase opérationnelle, le client est un opérateur humain, le pilote. Nous avons installé cette fonction sur un A340-600 pour une campagne d’essais qui a débuté en 2004, d’abord à Toulouse puis, après affinage de notre prototype, à l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle en 2005. L’immersion dans le trafic, répétée au cours de plusieurs essais, s’est faite sans aucun problème. Notre fonction était suffisamment mûre pour le virage vers la 3e phase : le début de l’industrialisation qui a commencé sur l’A380 en octobre 2006. Le système, dont nous attendons la certification au premier trimestre 2009, sera installé en option sur les A380. L’entrée en service est prévue fin juin 2009 sur le premier A380 d’Air France.
Plusieurs fonctions de ma thèse étaient candidates. L’une a bien marché mais j’ai continué de porter les autres pour les faire mûrir, par exemple sur le décollage automatique ou l’automatisation des phases aéroportuaires. Notre équipe s’est étoffée et nous avons monté deux autres thèses CIFRE avec le LAAS. Lorsque j’étais en thèse, je me sentais au LAAS comme de passage. Quand je me suis penché sur l’encadrement des deux autres thèses, je l’ai redécouvert différemment. D’une part, ces deux thèses étaient dans la continuation de la mienne, d’autre part, d’autres choses ont germé avec les automaticiens du LAAS. C’est une communauté qui s’est créée au fur et à mesure et parle le même langage. Au LAAS, il y a une vraie excellence académique, qu’il ne faut toutefois pas croire pérenne. Il faut la mettre au service de collaborations utiles. Nous ne raisonnons pas dans le même temps et ne pouvons pas nous permettre d’être inefficaces. Mais nous savons aussi que les idées germent quand on ne comprend pas pourquoi quelque chose ne marche pas. C’est en cela que nous devons travailler ensemble. Créer aujourd’hui les collaborations de demain. Il faut un lien fort. Il faut bâtir le pont.
Une thèse, c’est une aventure. J’ai eu personnellement une chance exceptionnelle. J’ai eu la chance d’un sujet au potentiel porteur. J’ai commencé sur une feuille blanche en septembre 1998 et c’est extraordinaire de savoir qu’en 2009, un avion de ligne volera avec cette fonction. Les passagers ne s’en rendront pas compte, ce sera confortable. A l’échelle aéronautique, 10 ans c’est très court. Dans un laps de temps humain, nous sommes allés de A à Z.