Publication trimestrielle du Laboratoire
d'analyse et d'architecture des systèmes du CNRS
L’univers, la vie, l’homme sont un vertigineux mystère ! Un chemin possible pour l’approcher est la recherche scientifique. Cette voie, de la logique et du raisonnement, est très ancienne et l’on a tous présentes en mémoire, les grandes étapes accomplies depuis quelques centaines d’années. Quelques noms illustres viennent immédiatement à l’esprit.
Newton, dès la fin du 17e siècle, a contribué à fonder une approche conceptuelle basée sur la modélisation. La loi d’attraction universelle a été suivie de nombreuses autres propositions toujours plus enrichissantes, de J.C. Maxwell, A. Einstein, E. Schrödinger et bien d’autres, qui, en moins de deux cents ans, ont construit une physique mathématique particulièrement performante pour représenter le monde matériel dans lequel nous vivons. En fait, la connaissance de ce monde déborde aujourd’hui largement du côté de l’infiniment petit, avec le développement de la physique atomique où la France a été particulièrement active avec la découverte de la radioactivité par Pierre et Marie Curie, et de l’infiniment grand, avec l’astrophysique qui ne cesse de passionner notre temps ! Cette démarche d’approfondissement de la connaissance est essentielle et rassemble aujourd’hui, plus que jamais, de nombreux talents. C’est, dans notre jargon scientifique, une « Recherche fondamentale » qu’il convient d’encourager et de protéger dans l’intérêt le plus général !
Cette connaissance cumulée a aussi, très vite, enclenché un extraordinaire processus d’innovations multiples pour la satisfaction des besoins ou des ambitions de l’homme. En effet, la base de connaissance ainsi rassemblée et diffusée est devenue un outil de développement pour de nouveaux produits et de nouveaux procédés. Ce processus de développement consiste à bien identifier puis à bien spécifier ce besoin ou cette ambition, pour permettre, dans la limite des moyens pouvant être mis en jeu et de la capacité innovante des acteurs, une conception « descendante » du produit ou du procédé correspondant. À noter que le processus se nourrit lui-même de ses réalisations par une réutilisation des acquis, ce qui, aujourd’hui, après quelque cinquante années de pratique, permet d’aborder industriellement des niveaux de complexité très considérables dans la production et la gestion de l’énergie, le transport, la communication. C’est le domaine des Sciences de l’ingénieur ! C’est le domaine de la recherche finalisée avec son volet recherches de base, sur les modèles, les méthodes et les outils et son volet applicatif, sur les prototypages et les démonstrations.
L’invention des Sciences pour l’ingénieur
Revenons cinquante années en arrière. Le LAAS est « un projet virtuel », dans la tête de ses fondateurs, Jean Lagasse et son équipe de proximité. L’analyse qu’ils font est très caractéristique de leur talent. Ils vont saisir l’opportunité des problématiques nouvelles du génie électrique et électronique émergent, pour proposer des évolutions thématiques, sans craindre de se mettre en marge d’une structure universitaire jugée alors trop traditionnelle. La base de lancement sera donc le laboratoire de « Génie électrique » et le fer de lance de l’initiative sera l’automatique, même si, dès l’origine, se sont trouvées rassemblées des compétences très pluridisciplinaires sur les matériaux, les composants et les systèmes. Ensuite, le travail a payé, permettant au Laboratoire de génie électrique de se trouver au rendez-vous d’une deuxième labellisation de Toulouse, comme
pôle aéronautique et spatial. Le succès est double : la création du LAAS, le Laboratoire d’automatique et de ses applications spatiales, et l’intégration dans le CNRS, faisant du LAAS un « Laboratoire propre » qui sera dans ses murs, en Mai 1968 !
Tous les grands pays industrialisés avaient, sans problème et depuis bien longtemps, intégré la dimension technologique dans leur stratégie de recherche. On peut dire que c’est une contribution historique du LAAS à la stratégie de la recherche nationale !
L’étape suivante fut tout aussi difficile : faire reconnaître les « Sciences pour l’ingénieur » dans la communauté de la recherche académique nationale ! Les réticences y sont considérables. Physiciens et mathématiciens font barrage à toute reconnaissance de l’ingénierie, ne lui accordant qu’un rôle de valorisation des résultats de la recherche. La pression de l’évident intérêt économique, l’exemple du LAAS naissant et l’énergie d’un Jean Lagasse bien appuyé par Robert Chabbal, alors directeur général du CNRS, emportent la décision en 1976, de créer la direction scientifique du département des Sciences Pour l’Ingénieur (SPI) dont Jean Lagasse sera le premier responsable. C’était une décision « limite » alors que tous les grands pays industrialisés avaient, sans problème et depuis bien longtemps, intégré la dimension technologique dans leur stratégie de recherche. On peut dire que c’est une contribution historique du LAAS à la stratégie de la recherche nationale !
Identifier et accompagner le changement
Trente ans se sont écoulés avec cette nouvelle organisation du CNRS, qui ont permis au laboratoire d’intervenir dans de nombreux mouvements scientifiques et technologiques car, s’il est une qualité visible et reconnue de ce laboratoire, c’est bien celle de savoir identifier et accompagner le changement. Fondée sur la conduite de deux axes d’activité : l’automatique et le composant électronique, l’ouverture s’est faite progressivement vers la sûreté de fonctionnement informatique, la robotique, les microsystèmes, les réseaux de communication, avec, le plus souvent, un rôle de fondateur ou de leader dans la communauté nationale. Une particularité, à souligner, du LAAS dans la conduite de ses travaux est l’attention portée à la vision globale « système » des évolutions. On veut être acteur du progrès mais aussi appréhender les conséquences humaines et sociales de ses applications. Cela a été particulièrement vrai, dans les années 80, dans les actions traitant du progrès technologique et des productions automatisées en cherchant à y intégrer les conditions individuelles et collectives du travail humain.
Ces activités ont, le plus souvent, été réalisées en collaboration avec l’industrie assurant ainsi une valorisation naturelle des résultats obtenus. Pour des activités particulièrement innovantes, ne pouvant pas s’intégrer directement dans le tissu industriel, des startup ont été encouragées qui, progressivement, se sont fondues dans la vie économique. Midi- Robot, Midi-Capteur, Vérilog, Kinéo, Neosens, QoS Design, Tag Technologies, Kineo Cam, Noomeo. On doit à Alain Costes, alors directeur, d’avoir lancé le concept de « Club des affiliés du LAAS » qui, avec succès depuis 18 ans, souligne l’attention particulière portée par le laboratoire aux relations industrielles, notamment aux PME/PMI. C’est, dans ce terrain d’action, souvent controversé, qu’il faut considérer une part du bilan du laboratoire, résultat d’un engagement permanent et exemplaire !
Haute technologie au service de la recherche et de l’innovation
Le rayonnement d’une recherche se mesure dans ses contributions à la recherche de base qui bâtit, dans un mécanisme communautaire mondialisé, la matière pour les modèles, les méthodes et les outils nécessaires à la compréhension et au développement des systèmes « artificiels ». Le LAAS y contribue depuis sa création, par des chemins multiples : des publications au rythme d’une à deux par jour, l’organisation d’innombrables conférences et colloques, le transfert de connaissances vers les formations grâce au travail assumé par les enseignants chercheurs et les autres intervenants du LAAS dans les universités et les écoles d’ingénieurs, les formations et les conseils réalisés en milieu professionnel sur les mutations scientifiques et techniques les plus pointues. La diffusion des savoir-faire contribue aussi au rayonnement de la recherche. C’est une activité où les services techniques du laboratoire ont souvent été en première ligne, dans le prototypage électronique du début de l’aventure, dans les démonstrateurs informatiques et robotiques multiples et dans les prototypages en microélectronique et microtechnologie.
Récemment, la modernisation des salles blanches, qui place aujourd’hui le LAAS parmi les grands centres français et européen en micro et nano technologies, ouvre de nouvelles occasions pour le laboratoire de renforcer encore davantage une image de haute technologie, au service de la recherche et de l’innovation !
Durant ces vingt dernières années, l’environnement de la recherche n’a pas cessé d’évoluer. Deux points majeurs sont à souligner. D’abord, l’émergence d’une organisation européenne de la recherche qui, initialement limitée aux grands équipements et à la recherche fondamentale, s’est ouverte à l’ingénierie au début des années 80. On pouvait alors s’interroger sur la position qui serait celle du LAAS dans cette nouvelle aventure. On peut dire aujourd’hui, avec plus d’une centaine de grands projets auxquels le laboratoire a participé et compte tenu des liens de collaborations tissés avec les autres centres de recherche européens, que le LAAS est parfaitement intégré dans le paysage européen de la recherche. Second point, on connaît aujourd’hui le rôle que l’Etat souhaite confier a la recherche, face aux effets de la mondialisation : celui de s’impliquer encore davantage dans les stratégies de développement régional, national et européen. Ce point n’est pas réglé aujourd’hui, et c’est sûrement un nouveau défi pour les vingt prochaines années : quelles seront nos missions de recherche ? Quels grands partenariats pour le laboratoire et quel rôle dans le site régional Midi-Pyrénées ? Quel tissage avec les autres instituts, les universités ?
La force première du LAAS est dans les hommes et les femmes, leur compétence et leur détermination. C’est ce qu’ont montrédeux générations de collègues et d’amis. Que chacun des acteurs de cette histoire de quarante ans prenne le plaisir et la fierté de ce succès collectif, merci a tous ! Demain, avec plus de 600 opérateurs de recherche, des locaux, des équipements, on ne peut être qu’optimiste d’autant que l’Esprit LAAS est resté le même, audacieux et solidaire !
Daniel Estève
Directeur de recherche de classe exceptionnelle émérite au CNRS, directeur du LAAS de 1981 à 1984