Publication trimestrielle du Laboratoire
d'analyse et d'architecture des systèmes du CNRS
© LAAS-CNRS
Lorsqu’on souhaite retracer l’histoire de la centrale technologique du LAAS, il faut remonter aux années 1960. J. Bardeen, W. Schokley et W. Brattain en 1956 viennent de recevoir le prix Nobel pour l’invention du transistor bipolaire, J. Kibby et R. Noyce en 1959 inventent le premier circuit intégré et, en 1965, G. Moore énonce la loi qui porte son nom, relative au doublement du nombre de transistors dans les circuits intégrés tous les dix-huit mois. Pendant cette période, alors qu’à l’université, dans le certificat d’électronique, on enseigne le fonctionnement des tubes à vide et la théorie des circuits à tube, une petite équipe de chercheurs du Laboratoire de génie électrique, LGE, de l’ENSEEIHT, sous l’impulsion du Professeur J. Lagasse, se lance dans l’étude des composants à semi-conducteur et des circuits électroniques à base de transistors bipolaires et MOS.
C'est l’époque des circuits à éléments discrets, le circuit intégré faisant ses premiers pas. En1966, confrontés aux problèmes de fiabilité des transistors soumis aux rayonnements ionisants, ces chercheurs émettent l’idée de réaliser une première centrale technologique française en milieu universitaire, afin de réaliser les véhicules tests nécessaires aux études sur le fonctionnement de ces nouveaux composants et de maîtriser les paramètres de leur fabrication. 1968, date clé, le LAAS est créé par le regroupement d’équipes du LGE de l’ENSEEIHT et du département de Génie électrique de l’INSA de Toulouse, et la première centrale technologique, de 150 m2, est installée dans les sous-sols du premier bâtiment. Elle permet de « processer » des substrats de silicium de 5 cm de diamètre. Il est probable que cette période d’intense travail collectif de mise en route des équipements soit à la base de « l’esprit du LAAS ». Tous, chercheurs, ingénieurs et techniciens, passent des journées et des nuits entières à calibrer les fours de diffusion et d’oxydation permettant le dopage et l’encapsulation des composants, à étalonner les balances à quartz indispensables à la mesure des épaisseurs des métaux déposés par évaporation afin de réaliser les contacts ohmiques des dispositifs, à régler les équipements de photolithographie. Sur leur planche à dessin, les doctorants et les techniciens, armés d’un compas et d’un cutter, tracent sur « pelliculable » les motifs des masques servant à délimiter les différentes surfaces actives des composants. Les dimensions de ces pelliculables sont réduites par passage au banc d’optique et servent à produire les masques réels utilisables à la fabrication des composants.
Dans les années 1980, le LAAS s’agrandit et la centrale de technologie, devenue trop petite, migre dans de nouveaux locaux et prend de l’extension. Sur 400 m2 viennent s’ajouter aux équipements existants le LPCVD permettant de déposer les couches semi-conductrices ou isolantes à basse température, la gravure plasma pour réaliser des tranchées dans le semi-conducteur et permettant d’améliorer la définition des motifs. Parallèlement, après la construction d’un implanteur ionique, maison, sur lequel les chercheurs appréhendèrent les différents mécanismes de dopage par implantation d’ions, la venue d’un équipement neuf fonctionnant jusqu’à 150 Kev permit de doper les semi-conducteurs avec une grande variété d’éléments, complétant ainsi le dopage par diffusion du bore et du phosphore. Le premier masqueur électronique est acheté au CEA-LETI. Il ouvre la voie à la réduction des dimensions des composants d’étude et permet au LAAS de participer à l’évolution de la microélectronique tout en « processant » dès 1990 des substrats de diamètre plus important (10 cm). C’est à cette époque que l’importance des semi-conducteurs composés d’éléments de la colonne III et de la colonne V de la table de Mendeleïev (AsGa) pour l’optoélectronique est avérée. Le LAAS se lance dans l’étude des diodes laser à semi-conducteur III-V et s’équipe d’un banc d’épitaxie en phase liquide puis des bâtis fonctionnant sous ultra-vide (épitaxie par jets moléculaires). La réalisation de couches inférieures à 100 nanomètres d’épaisseur est alors possible de manière fiable et reproductible.
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Jusqu’en 2002, le développement des recherches s’accompagne d’une nécessaire adaptation des équipements pour rester dans la course de la microélectronique. La centrale de technologie microélectronique du LAAS acquiert le label de « Grand équipement européen. Un système de lithographie électronique vient remplacer le vieux masqueur, donnant ainsi la possibilité de réduire encore les dimensions des motifs. Pendant cette période, au niveau des groupes de microélectronique du laboratoire se tient une réflexion prospective tournée vers le domaine des micros et nanotechnologies. Cette réflexion aboutit à la participation du laboratoire au programme français Recherche technologique de base, RTB. C’est ainsi que, tout naturellement, le LAAS peut participer à l’émergence des micro nano technologies qui envahissent tous les domaines, tant ceux de la détection que de la conversion d’énergie ou des transmissions et qui accélèrent la convergence entre disciplines à l’origine distinctes, comme la physique, l’électronique, la chimie, la mécanique et la biologie. Tout d’abord, les travaux sur les microsystèmes sont confortés par l’introduction des technologies polymères et de couches sacrificielles. La réalisation sur substrat silicium des fonctions autres qu’électronique est alors possible. L’hétérogénéité des matériaux déposés intervenant dans la fabrication de ces microsystèmes électro-optomécaniques augmente et donne naissance à de nouvelles réalisations telles que les micromoteurs électrostatiques, les capteurs chimiques, ioniques et de pression élaborés sur membrane, les micropoutres, les interrupteurs thermiques. Les efforts fournis par tout le personnel du LAAS se concrétisent en 2005 par l’obtention du label français « Grande centrale de technologie ». La centrale du LAAS est partie prenante du réseau constitué du CEA-LETI, à Grenoble, de l’IEMN, à Lille, de l’IEF et du LPN à Paris, de FEMTO, à Besançon, et du FMNT à Grenoble.
A cette occasion, le programme français en recherche technologique de base lui permet de franchir une nouvelle étape par la construction d’une salle technologique de 1500 m2 comprenant des parties de classe 10 000 et des parties de classe 100 et par une amélioration constante des équipements pour adresser des technologies alternatives à celles provenant de la microélectronique.
Le LAAS a œuvré pour que sa centrale de technologie microélectronique devienne centre d’accueil pour les laboratoires académiques et les industriels.
Aujourd’hui, le LAAS dispose d’une centrale de technologie apte au développement des travaux de recherche en microélectronique, nanoélectronique et nanobiotechnologie. Ces travaux pluridisciplinaires sont menés en liaison avec les différents acteurs régionaux mais aussi français et européens, qu’ils viennent des disciplines de la chimie, de la mécanique, de la physique ou de la biologie. Rattaché au département des Sciences pour l’ingénieur, devenu depuis le département ST2I, le LAAS a, de par ses recherches, toujours développé une ouverture disciplinaire en direction des laboratoires académiques et recherché l’ouverture sur le monde industriel. C’est dans cet esprit que le LAAS a œuvré pour que sa centrale de technologie microélectronique devienne centre d’accueil pour les laboratoires académiques et les industriels, grands groupes comme PME-PMI. Il faut noter que dans le cadre du réseau des grandes centrales de technologie, une charte mentionne explicitement les règles d’accueil des projets exogènes. Les liens étroits avec les partenaires industriels se sont concrétisés au fil du temps par la création de laboratoires communs, d’un Club des Affiliés,... qui lui ont permis d’être reconnu comme Institut Carnot.
Enfin, le LAAS n’a jamais oublié qu’en son sein travaillent des chercheurs et des enseignants chercheurs. Il a toujours été force de proposition pour les établissements universitaires pour faire évoluer la formation. L’AIME, Atelier interuniversitaire de microélectronique, dont le LAAS est un des fondateurs, est un bel exemple de réalisation issu de la collaboration étroite entre le laboratoire et sa centrale de technologie et les établissements toulousains. Quel sera l’avenir de la centrale de technologie du LAAS ? Comment se déclinera-t-il compte tenu des évolutions en cours sur l’organisation de la recherche ? Il est sûr que, tournés vers l’avenir, les chercheurs, enseignants chercheurs, ingénieurs et techniciens du
LAAS, en s’appuyant sur les valeurs fondamentales qui ont fait le laboratoire, dynamisme et solidarité, sauront à force de travail et de volonté, saisir les occasions qui s’offriront pour poursuivre et amplifier le développement de la recherche technologique. Le laboratoire œuvre dans le domaine déjà ancien et toujours renouvelé des Sciences pour l’ingénieur. Toujours soutenu, comme par le passé, par ses autorités de tutelle, le ministère de la Recherche et de l’enseignement supérieur, et les collectivités territoriales, il saura participer au développement international de l’innovation dans les domaines de la conversion d’énergie, de réseaux de capteurs communicants, et des nanotechnologies dont la région Midi-Pyrénées et la France ont besoin.
Augustin Martinez
Professeur à l'INSA de Toulouse, directeur adjoint du LAAS de 1997 à 2002