Publication trimestrielle du Laboratoire
d'analyse et d'architecture des systèmes du CNRS
© LAAS-CNRS 2007, Daniel Daurat
Lors de sa création en 1968, le LAAS était le Laboratoire d’automatique et de ses applications spatiales. Son fondateur, Jean Lagasse, souhaitait explicitement développer cette discipline qu’il considérait comme trop peu explorée en France et l’a d’emblée associée au domaine spatial. Quelle approche a-t-on aujourd’hui au LAAS de l’automatique ? L’association était-elle pertinente ? Quels en sont l’intérêt et les fruits quarante ans après l’intention exprimée ? Denis Arzelier, qui a fait sa thèse au LAAS, où il a été recruté en 1993 et vient d’être promu directeur de recherche au CNRS, revient sur son parcours et livre son point de vue de chercheur spécialisé en commande robuste.
Vous avez préparé votre thèse au LAAS, mais celle que vous avez soutenue n’était pas sur votre sujet de départ. Pour quelles raisons ?
Je n’ai pas choisi de changer de sujet de thèse ni de directeur de thèse. C'est ce dernier qui a estimé, pour des raisons professionnelles, devoir passer le relais à un collègue. Il n'était alors plus question de continuer à travailler sur le même sujet, d'autant que le contrat de cofinancement avec EDF n'était toujours pas signé six mois après le début de la thèse. Ces circonstances ont cependant créé une conjoncture qui a été le point de départ de mon orientation. J’ai commencé une thèse au LAAS sur la commande robuste : « Robustesse en performance et en stabilité des systèmes linéaires incertains : une approche quadratique ». C’était une discipline nouvelle, plus théorique, plus fondamentale. C’était de l’automatique telle que je voulais en faire, à la frontière des mathématiques appliquées. L’automatique est un domaine d'étude très abstrait tout en étant en prise avec des applications très concrètes, notamment dans l’aéronautique et l’espace. Elle est constituée d'un corpus théorique fondé à exister de façon autonome, même si cette existence est parfois contestée. De plus, elle doit naturellement appliquer ses résultats à des systèmes réels qui peuvent concerner des domaines aussi différents que la physique ou l'économie.
Dès le début de votre carrière, vous avez entretenu une relation régulière avec le CNES. Qu’est-ce qui l’a motivée ?
Il y a une relation collective. Le groupe de recherche du LAAS auquel je suis attaché, Méthodes et algorithmes en commande, a des liens avec le CNES depuis plus de vingt ans. Il y a toujours eu une collaboration, une thèse en cotutelle en cours. Il y a eu notamment des travaux sur l’optimisation de trajectoires spatiales interplanétaires ou en environnement orbital, au départ initiés par mon directeur de thèse, Jacques Bernussou, et que je reprends depuis quelques années. Ce qui m’intéresse dans ces échanges avec le CNES, c’est la confrontation entre nos pratiques théoriques et des applications sophistiquées et réalistes. La théorie de la commande robuste, établie depuis 1995, a atteint un degré de maturité qui rend possible son transfert vers des applications réalistes. Il nous a semblé que la confrontation des problématiques de commande du domaine spatial et les résultats théoriques récents en commande robuste devraient non seulement permettre un transfert technologique mais aussi enrichir nos problématiques de recherche. Les études menées dans ce cadre ont été essentiellement de nature théorique mais leur origine relativement applicative. Enfin, il ne faut bien sûr pas oublier le contexte toulousain et son tropisme aérospatial qui ont naturellement orienté mes choix professionnels. On retrouve ici une part de choix personnels et une grande part d'opportunités fortuites dues au développement parfois anarchique des directions de recherche.
Vous faites allusion aux nouvelles orientations de la recherche en France ? Qu’en pensez-vous, pour vous et votre discipline ?
Avec un pilotage administratif très serré des directions de recherche dans le cadre d'appels à projets pléthoriques, on est très loin du futur modèle de gestion de la recherche que l'on nous promet. Bien sûr, je ne nie pas la nécessité de faire évoluer les structures de recherche actuelles en les simplifiant pour les rendre plus efficaces. Une réflexion collective remarquable et sans précédent avait d’ailleurs été menée dans le cadre d’une association toujours active. Mais ce qui a déjà été mis en œuvre sous la précédente législature et ce qui est actuellement mis en chantier montre une méconnaissance complète du monde de la recherche et de ses besoins. Par exemple, la multiplication des guichets et des appels à projets conduit à une inflation du temps passé sur des tâches annexes. Plus grave, le travail par projet finalisé devient la norme au détriment d’un travail scientifique plus libre et certainement plus fructueux à long terme. Au lieu de se servir du CNRS comme d’un organisme central permettant de structurer et d’organiser la recherche, on crée une nouvelle agence dont l’opacité de fonctionnement n’a d’égale que celle de son pilotage. Je m’arrête là. Le numéro entier n’y suffirait pas.
Il y a trois ans, vous avez fait une mission de quatre mois au CNES, dans des locaux situés à quelques centaines de mètres du LAAS. Ce n’est plus là une collaboration mais une immersion. Quel en était l’objectif ?
Au CNES, j'étais dans le service pilotage et SCAO (système de contrôle d'attitude et d'orbite) plus spécifiquement dédié au contrôle d’attitude, c’est-à-dire le contrôle de l’orientation du satellite sur son orbite. Mon détachement avait pour principal objectif de montrer que les avancées récentes en théorie de la commande robuste pouvaient avoir un impact significatif sur le développement du SCAO. Le satellite Demeter, lancé pour détecter et mesurer les perturbations électromagnétiques dans l'ionosphère, a servi de plateforme de base pour cette étude. Plus tard, partant du modèle de Demeter et du cahier des charges fixé par le CNES quant au contrôle d’attitude, nous avons proposé avec Christelle Pittet, ingénieur au CNES, un problème type qui serait intéressant à étudier sous l’angle de la commande robuste.
© CNES, Novembre 2003, Ill. D. Ducros
Le microsatellite Demeter. "Les avancées en théorie de la commande robuste peuvent avoir un impact significatif sur le contrôle d'attitude et d'orbite"
Au-delà du travail fait et des attentes de la communauté, il a été très instructif de voir comment les ingénieurs du CNES appréhendaient les problèmes d’automatique. Nous n’avons pas la même culture – peu d'ingénieurs de ce service ont fait un doctorat –, les échelles de temps non plus ne sont pas les mêmes. Cette immersion a permis des relations plus informelles et plus suivies. J’ai essayé de les convaincre de l’intérêt de relations avec la recherche, notamment par des thèses cofinancées et co-encadrées mais également par leur participation à des congrès d'automatique. Les interactions, facilitées par un accueil très chaleureux, m’ont permis de découvrir d’autres problèmes, d’autres visions. Mon séjour a été aussi un catalyseur des collaborations entre mon groupe de recherche au LAAS et le CNES.Celles-ci se sont renforcées, d’autres se sont concrétisées par des travaux communs, une thèse cofinancée par le CNES et Thales Alenia Space faite au LAAS et des études de Recherche et technologie à la demande du CNES.
Ces expériences ont-elles changé vos pratiques ?
Non mais elles ont enrichi mon parcours. En France, mon équipe au LAAS a été l’une des premières à faire de la commande robuste, sous l'impulsion de mon directeur de recherche. Nous continuons et avons connu des développements théoriques et numériques qui peuvent trouver des applications dans l’aéronautique et le spatial. Les relations avec le CNES sont donc naturelles, comme avec Thales Alenia Space, EADS-Astrium ou la Snecma et Airbus. Cela dit, comme pour tout développement nouveau, il faut convaincre des apports potentiels. Passer du cadre fondamental aux problèmes des utilisateurs industriels a pris dix ans. Il existe de plus en plus d’applications « modernes » de la commande robuste. Le pilotage robuste de la fusée Ariane en phase atmosphérique est issu de notre discipline puisque Ariane 5 vole avec un pilote H!. Certes, les résultats restent très théoriques et nous sommes heureusement très éloignés de la prestation de service, mais les apports, applicatifs ou intellectuels, peuvent être mutuels. J’ai parlé de maturité théorique de notre discipline, mais les problèmes qui restent ou qui naissent sont difficiles, et sûrement aussi les plus intéressants. Les exigences de performance d’un satellite sont très fortes, mais aussi très hétérogènes. Elles intègrent la consommation, la mesure, l’isolation vibratoire… La problématique de commande s’en trouve complexifiée et l'on aboutit naturellement à un problème de commande multi-objectif pour lequel il n'existe pas de solution entièrement satisfaisante actuellement, tant du point de vue numérique que théorique.
Vers quoi vous dirigez-vous aujourd’hui ?
Au-delà du problème que je viens d’évoquer, dont l'utilité pratique est évidente, il existe un certain nombre de questions fondamentales sans applicabilité immédiatement perceptible qui résistent. Il faut simplement espérer que la future organisation de la recherche permettra encore l'étude de tels problèmes fondamentaux.
La commande robuste
La notion de robustesse est directement reliée à l'estimation de la sensibilité d’un système de commande à des perturbations exogènes ou à des incertitudes de modélisation. Le problème de la synthèse d'un système de commande robuste est celui du calcul d’une loi de commande par contre-réaction (feedback) telle que le système bouclé soit robuste vis-à-vis des variations paramétriques du système et d’éventuelles perturbations externes. Les concepts et les outils utilisés dans ce cadre varient en fonction de la classe des modèles considérés. Denis Arzelier étudie plus particulièrement la classe des modèles linéaires invariants dans le temps et des modèles périodiques.